Flagrant délit d'insubordination
Je l'avais dit là, je le fais désormais.
Je ne me laisse pas faire, je lui rentre dedans. Il faut dire que sur la semaine passée, elle a franchement dépassé les limites.
Déjà, je n'ai pas le droit de me plaindre d'être fatiguée. Jamais. A mon âge, c'est impensable de l'être, à plus forte raison que je n'ai ni maison ni enfants à entretenir. Deux ans sans vacances? Et alors, il y en a d'autres qui n'en ont jamais. Je ne vois jamais Darling? On a quand même pas besoin d'être collés l'un à l'autre tout le temps! Le boulot me tue? Je n'ai qu'à en changer! Après tout, je n'ai à m'en prendre qu'à moi-même si ma vie n'est pas celle que je souhaitais, d'autant que mes études ont été payées sans rien dire... Et la reconversion professionnelle, ça existe! Comment ça, je ne sais pas vers quoi me diriger? Ben ça, personne ne peut le dire à ma place, je n'ai qu'à me bouger le c** et faire des recherches!
Je serais mesquine, je dirais que c'est étonnant, voire parfaitement obstiné et intolérant, comme réaction de la part de quelqu'un qui est sorti du monde du travail pendant vingt ans et qui est rentré de nouveau dans un secteur où le travail ne manque pas et les diplômes ou l'expérience ne constituent pas un critère majeur de recrutement...
Mais je ne suis pas mesquine et je dis seulement que ce genre de réaction n'est pas exactement ce que j'attends de la part de quelqu'un supposé m'aimer et me soutenir inconditionnellement... Ce qui nous amène au deuxième point de discorde, l'éternel et l'insoluble (pour le moment) problème de ma masse corporelle.
Malheureusement pour moi, une indélicate a récemment rencontré ma chère maman et a quelque peu posé ses gros sabots dans le plat en s'exclamant haut et fort que je devais être ravie d'être enceinte...
...
...
Alors, autant, si la réflexion m'avait été faite directement, j'aurais riposté d'un "non, du tout, je suis juste grosse" et la personne se serait mordu les doigts d'avoir aussi peu de discernement et d'élégance, autant, là, rien n'a pu dédramatiser cette désolante situation... Et bien évidemment, ravie d'avoir de l'eau à son moulin, il a fallu qu'elle me le répète en insistant lourdement (sans mauvais jeu de mot) sur le "tu te rends compte, les gens pensent que..."
Les gens pensent que, et alors??? Aujourd'hui, je me sens mieux dans mes bottes que depuis des années. Certes, (très) loin d'être mince et jolie comme les filles de ses copines, mais et alors??? Alors on invoque le prétexte de la santé pour se dédouaner de tout jugement. Sauf que je vais bien, je n'ai pas été malade depuis belle lurette, je ne fume pas, ma contraception n'est pas à base d'hormones et que si j'avais le moindre souci, certainement que ça agirait comme un électrochoc, mais on n'y est pas.
Elle ne comprend pas, elle ne m'a pas élevée comme ça, à me lever à pas-d'heure (elle ne travaille pas jusqu'à minuit), à manger n'importe quoi, n'importe quand (certes elle ne mange pas, mais pour décompresser elle fume), à m'affaler devant la télé plutôt que de bouger mes fesses (elle a la plage, j'ai peu de temps et la ville)...
Là, ça a commencé à fissurer dans ma carapace de bien-élevée. Il est vrai que si j'habitais loin, elle n'aurait pas à supporter ma vue qui l'horripile tant, de même qu'elle ne saurait pas comment je vis ma vie donc elle pourrait m'oublier et faire abstraction de tout ça. D'ailleurs, la solution simple et expéditive serait d'arrêter complètement de se voir et d'aller jusqu'à oublier les sacro-saints déjeuners dominicaux, ainsi elle serait beaucoup moins malheureuse!
A ce point de la conversation, elle a senti un faiblissement dans ses positions, qu'elle a maldroitement tenté de renforcer par une intervention paternelle. Paternel qui, pour une fois (fait assez rare pour être souligné), a signé son désaccord en refusant d'alimenter le débat. Un petit pas pour lui, un grand pas pour moi!
Allez, gagner une grande guerre passe toujours par de petites victoires...